Chez Mamie

           Ce projet est une méditation sur la vie et les souvenirs, « point[s] d’intersection entre l’esprit et la matière » selon Bergson, en même temps qu’un hommage au rôle social de la femme.

 

            Régulièrement, je vais rendre visite à ma grand-mère par alliance atteinte de la maladie d’Alzheimer vivant en Ehpad, et pour cela je loge dans son ancien appartement dont chaque pièce, chaque meuble, chaque tissu sont imprégnés des souvenirs de celle qui est en train de les perdre.

 

            J’ai voulu conserver ces traces, reprenant le geste des femmes qui façonnent dans des albums l’histoire de leur famille, comme Mamie elle-même l’a fait. D’abord, je prends des photographies instantanées de l’appartement et de son environnement : le processus chimique intervenant, son temps de latence, l’apparition plus ou moins floue des images font de celles-ci comme une métaphore de la fragilité mémorielle. Ensuite, afin de symboliser la disparition progressive des souvenirs due à la maladie, je recouvre plus ou moins les tirages de motifs réalisés au feutre Posca, en écho aux tricots créés patiemment par Mamie. Je peux ainsi reprendre à mon compte le mythe de la femme comme éternelle Pénélope, construisant sa fidélité au souvenir – y a-t-il seulement autre chose qui fonde le lien social ? – par un travail perpétuel de tissage et de détissage, de mémoire et de perte de mémoire, de photographies instantanées et de motifs répétitifs au feutre.

 

            Expérimenter la capture d’une mémoire inscrite dans les objets et s’effaçant progressivement d’une conscience permet aussi de m’interroger plus généralement sur le médium de la photographie et sa capacité à figer l’instant présent, l’instant où l’on appuie sur le déclencheur, pour mieux en souligner son impermanence et le réduire à néant, en une sorte de koan zen.