Réflexion sur l'histoire de l'art

L'autre jour, je suis allée visiter avec une amie l'exposition Baselitz sculpteur au Musée d'art moderne de la ville de Paris. On y voit des sortes de grands totems très frustes, représentant des personnages, taillés avec des outils rudimentaires (scie, hache) la plupart du temps dans un seul bloc de bois, et souvent tachés de couleurs primaires. S'en dégage une violence certaine. Je me dis alors qu'elle est liée à l'histoire de l'artiste, né en 1938 en Allemagne : comment créer alors qu'on est l'enfant du nazisme  ? Voilà sans doute quel est le problème que Baselitz avait à affronter. J'en ai la confirmation un peu plus loin, quand nous tombons sur le groupe appelé Femmes de Dresde, qui fait référence à un massacre perpétré à la fin de la seconde guerre mondiale. Celui-ci me plaît davantage que le reste, d'abord sans doute parce que la peinture jaune, appliquée sur presque toute la surface, transforme moins les têtes en caricatures, ensuite parce qu'un espace se crée entre les figures, qui semblent sortir de terre à la façon des idoles de l'île de Pâques (c'est du moins comme cela que je les imagine).

Je me pose alors le problème suivant : une oeuvre fait-elle partie de l'histoire de l'art parce-qu'en tant que témoignage, elle s'inscrit dans l'Histoire, ou au contraire parce qu'elle s'en distingue par son universalité ? Je veux dire par là que lorsque je regarde les fresques de Fra Angelico dans le couvent San Marco à Florence, je suis saisie par leur beauté pure, et à ce moment-là, je n'ai nul besoin de savoir à quelle époque il appartient, même si ensuite je peux me délecter davantage encore, à partir du souvenir de cette expérience esthétique, dans la réflexion historique.

La suite de l'exposition montre des peintures, comme toujours monumentales et renversées, représentant des visages d'hommes faits à partir de gros points noirs. Je me pose alors une nouvelle question : est-ce que l'image qui m'est proposée aurait le moindre impact sur moi si elle était d'une autre taille, et à l'endroit ?

Enfin, dans la dernière salle se dressent des sculptures d'un seul tenant, encore plus énormes, et tout-à-coup j'ai la vision des arbres qu'il a fallu abattre pour obtenir ces pièces de bois, et j'en suis toute navrée... ce qui, j'en conviens parfaitement, est une remarque complètement hors de propos.


interview vidéo de Baselitz sur ses sculptures

Écrire commentaire

Commentaires: 6
  • #1

    Danielle Assaban-Foulque (jeudi, 26 janvier 2012 12:22)

    En voyant des photos de ces "totems" je me rappelle certaines statues africaines - j'ai vécu plusieurs années en Côte d'Ivoire et l'art africain me touche beaucoup. Devant les oeuvres de Baselitz, je ne ressens pas l'émotion que provoque en moi une sculpture baoulé, sénoufo, dogon... Je me demande si cela ne vient pas de ce que les oeuvres africaines expriment un message - je veux dire que leur première signification n'est pas d'ordre esthétique, mais qu'elles ont un rôle, une fonction dans les rituels et, donc, dans l'histoire des civilisations qui les produisent...

  • #2

    Raphaële (jeudi, 26 janvier 2012 21:56)

    > Oui, Danielle, cela pose d'ailleurs le problème de l'authenticité de l'art créé pour les musées, même si l'on dit souvent que ceux-ci sont devenus les lieux de recueillement contemporains. Ce qui me gène aussi, c'est que le côté fruste des sculptures de Baselitz est une sorte de "pose" alors que la stylisation des œuvres africaines ne procède d'aucun calcul.

  • #3

    Lucien (dimanche, 04 mars 2012 18:25)

    Je fais un tour ici ce soir, sur les coms d'articles déjà ancien, et ton affirmation "alors que la stylisation des œuvres africaines ne procède d'aucun calcul" me paraît "osée". Qu'en sais tu ? C'est quoi, pour toi un calcul ? Quand je traverse la rue, je regarde à gauche et à droite et je traverse. Je ne fais aucun calcul en un certain sens, je n'établis pas les équations du mouvement des véhicules, mais quelque part, dans mon cerveau, se fait une simulation des trajectoires et je ne me fais pas écraser !

  • #4

    Raphaële (vendredi, 09 mars 2012 10:53)

    > En me relisant, Lucien, je reste assez d'accord avec moi-même : je ne pense pas que la sculpture africaine, à fonction principalement sacrée ou religieuse, se pose la question de son caractère fruste ou pas : elle ne cherche pas à s'imiter elle-même dans un calcul réfléchi(sinon peut-être aujourd'hui si elle a perdu ce caractère sacré... : mais est-elle encore intéressante à ce moment-là ?), elle n'est pas dans le méta-discours, comme Baselitz - ce que je nomme sa "pose". Je dirais exactement la même chose des icônes byzantines, qui suivent pas à pas une tradition de représentation parce que celle-ci est constitutive du sacré.

  • #5

    Lucien (samedi, 10 mars 2012 09:55)

    Cette discussion est fort intéressante ... Tu fais une distinction entre art sacré et art profane. Pour moi (je dis bien pour moi, je ne cherche aucun consensus nulle part) le sacré se caractérise par une loi qui vient de l'extérieur, une loi qui n'est pas intériorisée. L'"artiste sacré" serait donc une sorte de chamane, une sorte de prêtre, un religieux, celui qui relie. Alors, ce qu'on nomme "art sacré" en occident au XX ème siècle ( je pense par exemple à Matisse et à la chapelle du rosaire à Vence) est un art profane. J'irai même peut_être jusqu'à considérer l'art roman comme profane. J'ai du mal à imaginer qu'un artiste soit un chamane sauf à refuser la sublimation et voir dans l'artiste un psychotique ...

  • #6

    Raphaële (samedi, 10 mars 2012 18:49)

    > je n'établissais pas une distinction entre art sacré et profane,Lucien,
    mais entre discours et méta-discours : Le travail de Baselitz me semblant relever du second genre. Quant au rapprochement que tu opères entre chamanisme, prêtrise et psychose...Je crois effectivement que je n'ai pas grand chose à en dire ! :-)